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Le snack content, enfant prodig(u)e de la communication — #Episode3

Récapitulons. Ceci est une série de tribunes au sujet du snack content qui questionne l’omnipotence de ce format dans le cadre de la communication corporate. Jusque-là, nous avons réussi à déterminer que le snack content semble être né du croisement de deux phénomènes : d’une part, un drôle de mimétisme avec la publicité, pour laquelle le format court apparaissait comme évident pour des raisons essentiellement financières et, d’autre part, l’avènement de l’ère des médias sociaux, qui, via un fonctionnement de flux, entérinent la success story du snack content. Dans ce troisième épisode de la série nous allons chercher à identifier les éventuelles limites du snack content. Prêt(e)s ?

Georgiana Pricop
6 min readJan 21, 2021

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Tout d’abord, je me permets de préciser que cette tribune ne vise guère à exprimer des points de vue tranchés sur la question qui seraient les miens ; mon objectif est plutôt d’interroger mes propres pratiques en tant que communicante, de poser des questions et de les partager avec vous pour faire avancer le débat.

Nous avons en effet établi dans la tribune précédente qu’à l’époque de la maturité des médias sociaux on a vu apparaître tout un ensemble de spécialistes du social media qui ont joué un rôle important dans ce que nous avons appelé l’avènement du snack content. Ainsi, toutes les entreprises confondues se sont retrouvées à appliquer sur les médias sociaux les mêmes « bonnes recettes » formelles que celles qui avaient été en définitive prévues pour la publicité, parmi lesquelles le très court, le snack content, qui visait initialement à impacter les publics en réalisant des conversions immédiates[1]. Or, nous le savons, la communication corporate ne cherche pas à vendre des produits, mais plutôt à promouvoir une entreprise, à instaurer un dialogue avec l’ensemble de ses parties prenantes et à faire accroître ainsi sa notoriété, son influence, et, si possible, sa puissance commerciale. En cherchant à coller formellement aux règles de la pub et aux exigences des plateformes sociales, via l’intronisation des stratégies de contenu comme le snack content par exemple, la com’ corporate oublierait-elle sa vocation initiale ? En quoi un recours abusif au snack content peut-il desservir la com’ corporate ? Voici trois limites du snack content :

#Limite1 : le snack content est cher, et pas si ROIste que cela

Ainsi, la principale limite de cette pratique exacerbée du snack content par la com’ corporate semble être le fait que des entreprises investissent du temps et du budget dans la production de formats souvent à faible valeur ajoutée, peu différenciants, qui ne font que s’ajouter au bruit de fond permanent[2]. Ainsi, à défaut des budgets conséquents similaires à ceux dont disposent les équipes de la pub pour sponsoriser leurs contenus, les snacks si prometteurs se retrouvent noyés dans l’ensemble des micro-bouts d’informations, GIFS, memes, tweets, stories, mini vidéos, etc. qui foisonnent sur les réseaux. Les spécialistes du contenu et du social media organique se trouvent ainsi obligés de se réjouir pour quelques dizaines de likes par contenu, tandis que les plus optimistes d’entre eux s’amusent à jongler avec des chiffres un peu plus conséquents au regard d’autres KPI comme les impressions[3], avec les limites que cela comporte…

#Limite2 : le snack content nuit à l’écologie de l’attention

Pour mieux comprendre les éventuelles limites du snack content, il convient déjà d’expliciter le concept de content shock[4], formulé par Mark Schaefer. L’expression « content shock » est utilisée pour désigner le fait que la production de contenus disponibles sur Internet augmente beaucoup plus vite que le temps et l’attention disponibles des individus à qui sont destinés ces contenus. En d’autres termes, il s’agit du paradoxe que je soulevais dans une autre de mes tribunes traitant de l’emballement médiatique lié à la pandémie du Coronavirus par la question : « et si l’information aujourd’hui créait moins le sens qu’elle ne le brouillait ? ».

En effet, ces contenus, souvent plus ou moins identiques sur le fond — et a fortiori sur la forme — qui se noient dans les fils d’actualité infinis des médias sociaux, ont pour effet direct le fait de donner aux internautes atteints d’infobésité un sentiment d’impuissance. Submergés et dépassés par la richesse de ces plateformes alimentées en continu par des micro-bouts d’information instantanées, ces internautes n’arrivent plus à capter la valeur de ces contenus. Le snack content, qui devait initialement répondre à la problématique liée au manque d’attention, dans son usage “abusif” par l’ensemble des acteurs du web semble ainsi produire l’effet inverse et contribuer à cette pathologie civilisationnelle, la malinfo.

#Limite3 : le snack content nuit à l’écologie tout court

Virtuel, numérique, digital, immatériel ? Au-delà de l’« immatériel », le monde digital est bel et bien fondé sur du hardware qui lui… pèse. En effet, à cette ère que beaucoup d’optimistes appellent d’ores et déjà « post-Covid », on s’interroge de plus en plus sur les conséquences de nos actes, de notre consommation et, puisque c’est le sujet, de notre production de contenu. Or les statistiques montrent que l’empreinte environnementale du numérique est en forte hausse.

En 2019, la quantité nécessaire pour alimenter les serveurs, les centres de données, les réseaux de communication et les appareils utilisés pour naviguer sur internet était équivalente à la consommation énergétique de l’ensemble du Royaume-Uni ! (416,2 TWh). Ces émissions carbone représentent 2 % des émissions mondiales, soit tout autant que celles l’industrie aéronautique qui est considérée comme l’une des plus polluantes…[5] En effet, une page de site internet consultée entraînerait en moyenne la production de 1,76 gramme de CO2, tandis qu’une requête Google produirait quant à elle 7 grammes de CO2 dégagés dans l’atmosphère.

On parlait dans les précédentes tribunes d’une surproduction de contenus… À cela s’ajoute le fait que les contenus que nous mettons en ligne sont de plus en plus performants, et donc lourds…[6] Par ailleurs, force est de rappeler que si les producteurs de contenus et les webmasters ne tardent jamais à mettre en ligne leurs nouveaux articles et vidéos, ils oublient souvent de les retirer lorsque ces derniers ne s’inscrivent plus dans l’actualité…

Pour revenir à la question du snack content, à prime abord inoffensif car court et plus léger que d’autres formats, c’est bel et bien dans son utilisation outrancière par tous les producteurs de contenu du web qu’il devient fortement nuisible d’un point de vue écologique. En effet, derrière ce mur de petites briques à petit goût et faible valeur « nutritionnelle », se cachent les serveurs super puissants et super polluants des géants du numérique, qui les hébergent volontiers et gratuitement…[7]

Alors, le snack content : prodige ou prodigue ? Cela dépend ! Comme tout, il faut l’utiliser avec modération et à bon escient !

Puisque nous avons mis en exergue quelques-unes des limites du snack content, il est désormais temps que nous nous intéressions aux conditions sine qua non pour faire du snack content une stratégie marketing gagnante ! Rendez-vous la semaine prochaine avec « Le snack content : une stratégie gagnante, mais à quelles conditions ? — #Episode4 ». Stay tuned!

[1] Désigne la réalisation d’une action spécifique par un internaute sur un site.

[2] C’est ce que nous avons appelé « infobésité ». Découvrez une autre de mes tribunes qui traite ce concept de manière appliquée à l’emballement médiatique lié à la pandémie du Coronavirus.

[3] Sur les réseaux sociaux, une impression désigne l’indicateur de performance vous permettant de connaître le nombre de fois où votre lien, action ou publicité a été vue.

[4] https://businessesgrow.com/2014/01/06/content-shock/

[5] https://blog.adimeo.com/comment-mesurer-l-empreinte-carbone-d-un-site-web

[6] La taille moyenne d’une page web en 2019 est 4 fois plus élevée qu’en 2010.

[7] On reviendra sur ce point spécifique dans un autre épisode de la série.

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Georgiana Pricop

Smart citizen / « Citoyenne éclairée » passionate about digital humanities and writing.